Caricature de sens

Publié le par cc jung in effect

Caricatures d’effets
 
Le débat suscité par les caricatures, avec tout son cortège de grandes idées de démocratie et de liberté ne devrait pas occulter quelques vérités tapies dans l’ombre de la polémique. Le choix du sujet sensible par un quotidien danois est tout sauf anodin. L’attitude de Charlie Hebdo, sous un vernis d’anarchisme provocateur, relève également d’un choix idéologique pour ne pas dire propagandiste. Les envolées lyriques et les dessins satiriques servent de prétexte aussi bien d’un côté que de l’autre… De quoi nuancer bien des avis.
 
Comme prévu. Comme prévu les média occidentaux sont tombés dans la trappe grossière qui s’ouvrait sous leurs plumes légères et endimanchées. Comment ? On ose remettre en question le sacro-saint principe de la liberté de la presse ? Le droit à la caricature ? Autant de positions et de poses attendues pour le peuple des plumes pourtant si prompt généralement à veiller à ne pas déranger le paon du moment qui fait sa roue, à ne pas voler dans les plumes des coqs de la basse-cour politique, si agile à remuer un peu de poussière pour donner l’illusion d’une empoignade factice, si docile et zélé avec les puissants ailés.
 
La liberté de la presse et le droit à la critique sont des vieux mythes qui ont cessé d’exister depuis bien longtemps, une imposture utile pour donner un minimum de contenance et masquer un maximum de connivences. Tintin reporter et « Gorge profonde » n’existent que dans les albums écornés et les livres d’histoire du journalisme, la déontologie et l’indépendance sont désormais rangés soigneusement dans les musées poussiéreux de la pensée libre, au rayon des antiquités à bazarder. Au brave peuple, on vend la plume en oubliant le masque, on vend le papier et l’encre à défaut de goudron et de plumes, on vend du vent pour qu’il oublie l’immobile, on vend des idées pour qu’il n’en ai pas. Au brave peuple, on souffle des slogans, des formules, des articulations de pensée, on imprime des opinions et des émotions, on susurre des indignations en lui indiquant toujours la bonne direction…
 
 

Illusion d'optique

 
 
L’art de la diversion
 
 
Il est donc l’heure de s’indigner face à la barbarie, de ressortir de belles citations, de parler liberté et passion au moment même où le parlement entérine des lois pour mettre ce même peuple dans un carcan, au moment même où l’on piétine l’avenir de millions de gens en sabrant le code du travail, au moment même où la mobilisation était plus que jamais nécessaire pour faire reculer les murs de la prison qui avancent tous les jours. Et bien non. On nous ressort des visages recomposés, des phénomènes de foire à la sauce scientifique, on fait semblant de blâmer cette justice si utile pour oublier certains vrais dossiers et on se révolte pour quelques dessins qui ont offusqué. De l’art de la diversion. Les médias oublient de préciser pour notre gouverne que les caricatures ratées du prophète sont parues au Danemark dans un contexte bien particulier qui enlève toute naïveté et spontanéité au dessein de ses planches.
 
 
 

Les méandres de la pensée

 
 
Comparant les musulmans à une "tumeur cancéreuse"
 
Particularité politique du Danemark depuis la fin des années 90 ? L’apparition d’un puissant parti d’extrême droite… « le Parti du peuple danois, formation d'extrême droite de Pia Kjaersgaard, est parvenu à imposer son agenda à la politique danoise. "Le Parti du peuple danois n'accepte pas que le Danemark se transforme en une société multiethnique. (...) Le libre accès au Danemark détruit notre Etat-providence", est-il clairement affirmé dans son programme. Depuis, son succès ne s'est pas démenti » nous apprend un article du Monde (Lien). Le leader populiste à la tête de cette formation, Pia Kjaersgaard, « a réussi à banaliser les opinions xénophobes, comme celle, récente, comparant les musulmans à une "tumeur cancéreuse". Or, depuis 2001, son parti (13 % aux élections législatives de février 2005) est le soutien indispensable du gouvernement minoritaire libéral-conservateur au Parlement. Son succès s'explique, notamment, par le rôle joué par certains journaux, dont Jyllands-Posten, dans la banalisation de clichés négatifs sur les musulmans » explique le même article. Jyllands-Posten ? Mais c’est bien le journal qui a publié les caricatures non ? Exactement. Les médias nous ont parlé d’un banal concours pour illustrer un ouvrage en oubliant de nous préciser que le journal en question était un torchon d’extrême droite, spécialisé dans « la banalisation de clichés négatifs sur les musulmans ». La démarche apparaît soudain comme beaucoup moins naïve qu’il n’y paraît de prime abord… Mensonge par omission.
Les caricatures non dénuées d’idéologie nauséeuse et d’arrières pensées ont provoqué le courroux que l’on sait dans le monde musulman, une colère ravivée par un contexte bien particulier, propice à l’embrasement et à l’exaspération (voir Ressources du site). Les médias, tout à leur certitude démocratique quand cela arrange tout le monde, ont embrayé en relayant les dessins besogneux. Ironie de la machine médiatique, le monde entier a repris des illustrations d’un quotidien populiste danois d’extrême droite pour défendre…la démocratie. Tragique erreur qui n’a fait qu’attiser la colère de ceux qui s’estiment lésés et le bonheur des extrémistes enturbannés. Emballement de la bêtise, irresponsabilité et posture ridicule quand on analyse les faits de manière brute. En France, les plus ardents défenseurs de la diffusion de ces caricatures sont les rédacteurs de Charlie Hebdo, et ce, malgré les appels à la prudence des responsables musulmans. Rien d’étonnant pour l’hebdomadaire satirique me direz-vous… Normal qu’ils en rajoutent une couche, au nom du droit à la satire et tout le toutim du barnum médiatique. Peut-être pas…
 
Le journal satirique, tout à son anarchisme de gauche bien irrévérencieux, a plusieurs fois été pris la main dans le sac par le passé, plus préoccupé de vendre une certaine rhétorique propre aux amis de Bush que de croquer de la soutane à la chaîne… Un article du Réseau Voltaire signalait il y a quelques mois la lente dérive de ce magazine estampillé à gauche vers un autre bord de l’échiquier, en épinglant ses prises de position plutôt étonnantes. « La focalisation de Charlie Hebdo sur le danger que représenteraient les mouvements musulmans a commencé à la fin de l’année 2003. Auparavant, cette dimension était bien moins présente et se noyait dans une antireligiosité globale, touchant toutes les croyances. Cependant, le 23 octobre 2002, un article avait déjà surpris les lecteurs de l’hebdomadaire. Le philosophe Robert Misrahi, contributeur régulier du périodique avait écrit un éloge du livre La Rage et l’orgueil, le pamphlet raciste anti-musulman de la journaliste italienne Oriana Fallaci. Bien que cette dernière comparait la reproduction des musulmans vivant en Europe à celle des rats, le chroniqueur affirmait : « Le livre et son auteur ont été calomniés : Oriana Fallaci n’est pas raciste. » (Lien) Nous voilà bien loin de la défense du croquis crayonné déjà.
 
 

Action-émotion-réaction...

 
Des caricatures autrefois réservés à la presse d’extrême droite
 
« Dès lors, sa revue s’orienta progressivement vers une dénonciation systématique du péril islamiste, multipliant les caricatures présentant les musulmans comme des barbus en djellaba, battant les femmes, antisémites et incitant aux actes kamikazes, des caricatures autrefois réservés à la presse d’extrême droite. » précise le même article écrit, rappelons-le, il y a plusieurs mois. On retrouve les ingrédients, les mêmes que ceux du « Jyllands-Posten » ! Sous des apparences trompeuses de défense de la liberté et du droit à la caricature, des millions de gens s’imaginent défendre des vertus démocratiques là où ils sont manipulés par une campagne xénophobe d’extrême droite. La logique voudrait que l’on condamne ces amalgames douteux et ces arrières pensées malsaines mais, comme de bons moutons de Panurge, désinformés par une presse elle-même intoxiquée et donneuse de leçons déontologiques, nous avons tous jeté de l’huile sur le feu. Sans nous en rendre compte, les penseurs du « choc des civilisations » se sont habilement servis des rouages viciés de notre presse et de son empressement. Bien joué.
 
P.S : Eddy 31 m’a mis la puce à l’oreille.
 
Liens :
 
 
Vendre le « choc des civilisations » à la gauche (Charlie Hebdo – Réseau Voltaire)
 
 
Actualisation du 10 fev 2006 :
 
 
 
Ressources du site :
 
 
 
 
See U
 
CC Jung
 
 
 
 
 
 
 

Publié dans Omegactualité

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article