A l'ombre des miradors
Il était temps que quelqu’un le dise haut et fort. Amnesty, qui s’apprête à publier son bilan annuel, vient d’épingler les pays dits « démocratiques » qui ont pris de grandes libertés…avec les droits de l’homme depuis la « divine surprise » du 11 septembre. Les attentats majeurs qui ont secoué les USA ont en effet donné un signal inespéré aux gouvernements occidentaux pour rogner l’espace des libertés individuelles en utilisant le fallacieux prétexte de la lutte anti-terroriste. Profitant de la menace diffuse, nos gouvernements ont réussi à faire des lois inimaginables il y a seulement dix ans. Dans la foulée, ils ont démarré une chasse aux sorcières généralisée et improductive, arguant d’une cinquième colonne infiltrée tout en jouant sur la peur légitime des concitoyens. De l’espionnage d’Etat à l’encontre de ses propres sujets à la biométrie en passant par la surveillance légalisée des communications, nos autorités ont dressé de gigantesques miradors encore plus vite que l'effondrement des tours du WTCenter.
Cinq ans après les évènements du 11 septembre (toujours obscurs dans leur déroulement), il faut bien se rendre compte que nos « démocraties » et autres coalitions bombardent joyeusement des villes entières en Irak, colonisent des pays souverains à des fins de pillage, enlèvent des suspects pour les faire torturer loin des regards, enferment de pauvres bougres dans des prisons secrètes ou des camps de concentration relookés, et ce, sans susciter un émoi particulier de la part de l’opinion publique. La liberté à laquelle nous sommes tous attachés, conquise durement pendant des siècles et des siècles de luttes et de sacrifices, est en train d’être réduite à sa portion congrue en quelques années à peine. Ces mêmes pays qui ont fait si longtemps la leçon aux jeunes pays africains et asiatiques (indépendants depuis peu) en matière de droits de l’homme, se retrouvent aujourd’hui montrés du doigt, au même titre que les pires dictatures. « Pour défendre leurs intérêts, "des Etats ont paralysé les institutions internationales, dépensé en pure perte des fonds publics, sacrifié des principes au nom de la 'guerre contre le terrorisme' et fermé les yeux sur des violations massives des droits humains" dénonce la secrétaire générale de l'organisation Amnesty, Irene Khan (Lien). A juste titre. La France n'est pas épargnée et l'organisation des Droits de l'homme constate la hausse des brutalités policières et l'impunité manifeste des forces de l'ordre sous le règne de Sarkozy. Rien de nouveau...
Mais, il y a encore plus grave et plus intolérable dans le fond et la forme. L’exemple de Guantanamo résume à lui tout seul toute l’absurdité d’une soi-disant « guerre au terrorisme » qui bafoue les droits les plus élémentaires de la personne humaine tout en prétendant lutter pour la préservation d’un monde « libre ». L’exemple de l’Afghanistan que la Coalition, outragée par les attentats, prétendait « nettoyer » d’un foyer de terrorisme qu’elle a par ailleurs créé de toutes pièces, est signifiant. Quatre années plus tard, le pays peut se targuer d’être redevenu le premier producteur d’héroïne, les chefs de guerre coupables des pires atrocités prospèrent en toute quiétude pendant que la milice talibane regagne les cœurs et le terrain, faute d’une réelle évolution politique et diplomatique. Les promesses d’aide à la reconstruction d’un pays dévasté sont restées…des promesses.
La duplicité des discours
Les bombardements « chirurgicaux » des forces spéciales américaines (appuyées par des troupes françaises) pour enrayer l’offensive printanière des Taliban conduisent en ce moment à de regrettables bavures qui ne vont que conforter l’image désastreuse de l’Empire du Bien et de ses vassaux dans une sous-région qui leur est largement hostile (lien). La résurgence des « fous de Dieu » est le plus éclatant symbole de l’échec de la lutte anti-terroriste quand elle se contente de napper des pays entiers sous les bombes sans réellement s’attaquer aux racines du mal qui sont l’ignorance, la pauvreté et l’injustice. La politique fluctuante des démocraties en matière de Droits de l’homme ne peut que conforter les prédicateurs d’un Islam radical qui n’ont que trop d’exemples à donner sur la duplicité des discours et la stigmatisation d’une communauté pour convaincre les plus tièdes de l'auditoire.
Que dire aussi de l’innovation de Boeing qui vient de présenter des bombes spécialement conçues pour l’Irak, trois années après la fin de la campagne militaire officielle (Lien) ? Elle témoigne de l’enlisement de la soldatesque US dans un pays en proie à un embrasement chaque jour plus prononcé. « L'Armée de l'air américaine assure que ces bombes aideront à limiter les pertes civiles lors des bombardements en ville, a déclaré le colonel Richard Justice lors de la cérémonie de présentation du nouvel engin » explique une dépêche de l’Associated Press (lien). Avec un bilan effroyable qui oscille entre 100 000 et 120 000 civils tués depuis la fin des opérations militaires (en 3 années seulement), il était grand temps de se préoccuper de cette population meurtrie que l’on prétendait délivrer d’une dictature sanguinaire… Pour ne pas achever cette chronique sur une note trop sanglante, il est bon de mettre en avant la résistance de la Magistrature dans nos pays démocratiques. Une fois passée la stupeur et l’effroi terroriste dont ont su habilement profiter nos gouvernants en bousculant les lois (Le Patriot act en est une caricature), les magistrats européens sont en train de regagner patiemment le terrain perdu. Ainsi en Allemagne, « la plus haute juridiction allemande a invalidé mardi une opération de quadrillage informatique lancée en octobre 2001 par la police, qui cherchait après le 11 septembre des terroristes islamiques jusque dans les fichiers des étudiants à l'université » nous apprend un article du Monde (Lien). Rien n’est donc irrémédiablement figé. Les digues sont faites pour être repoussées et le cri d'alarme d'Amnesty est en cela salutaire.
Liens :
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CC Jung